Ah, si je navais pas despace !
Il nest pas facile dagrandir son territoire
Si lespace manque cruellement
dans la plupart des cas, il y a quand même de nombreux
endroits où il existe ... et où il nest
pas occupé. Cela nest pas aussi
étonnant. Il nest pas possible que cette
extension se fasse sans remises en question profondes et
parfois difficiles. Et lon se contente bien souvent
davoir des salles
spécialisées où lon
transporte dun coup tout le groupe. Si bien que dans
la pratique, rien ne change. Magali débute et a choisi la
petite école. Elle a envie que ses enfants y soient
bien, puissent sépanouir .... mais, pour
occuper lespace, il faut parfois se ....
séparer. De là à croire quon
abandonne .... Et loccupation de
lespace devient alors une véritable
problématique et une vraie remise en
question. Magali et son compagnon Gaétan
sont arrivés il y a 2 ans dans cette petite
école à 2 classes du Poitou. Ils
succédaient à un autre couple qui avait
"occupé" les lieux pendant ... 33 ans ! Succession
difficile, non seulement parce que leurs
prédécesseurs, toujours présents dans
le village (adjoint au maire, futur maire) ont marqué
de leur empreinte cette communauté, mais aussi parce
qu'ils pensaient bien, qu'avec eux, l'école
était finie. Depuis quelques années
déjà, avec leur fin, ils annonçaient
celle des écoles de campagne. Et des jeunes qui
arrivent, qui croient au contraire au renouveau des petites
écoles .... Il y a une véritable lutte
d'influence des anciens dépossédés de
ce qu'ils pensaient leurs prérogatives ... par des
jeunots presque débutants ! Ce n'est pas facile
à vivre pour ceux qui arrivent 1. La partie centrale et imposante de
l'école, c'était le logement des instits,
maison bourgeoise avec 1 étage, 1 grenier, avec son
devant de pelouse, ses arbustes, ses fleurs son vaste
jardin. Seule la "cantine" (c'est bien le seul nom qu'on
peut lui donner) y avait ses 2 pièces. Les
bâtiments d'école (2 classes) avait
été "ajoutés" par côtés.
Une horrible cour goudronnée a même
réussi à y être casée dans un
renfoncement villageois. Magali, directrice en titre, n'occupe pas
le logement. Et elle réussit à faire
désaffecter le bâtiment de sa fonction initiale
et à le faire ré-affecter officiellement
à usage scolaire. C'est un petit coup de maître
: tous les instits savent que, si le logement d'école
n'est plus logement de fonction, alors la plupart des
municipalités se dépêchent de
l'utiliser, soit comme logement locatif, soit pour toute
autre utilisation (club des vieux, salle de réunion
etc.). Voilà donc un immense ensemble (3750 m2 !)
à la disposition de la quarantaine de "drôles"
et de leurs instits. "Quelle aubaine, si j'étais
là ..." "La réalité est toute autre,
pour moi en tout cas" nous dit Magali, "le territoire
a été occupé, petit à petit,
après bien des tracas et aussi bien des
hésitations, des questionnements et même des
angoisses". "Dès le mois qui a suivi la
rentrée, j'ai demandé à la mairie une
porte pour autoriser l'accès au jardin. Ainsi les
enfants circulent dans un grand espace de 2750 m2,
libres." Cela n'a pas été aussi
évident, cette conquête : aller "marcher
dans l'herbe du maître" relevait un peu du
"lèse-majesté"! et puis, peu à peu,
"Ils ont aménagé des cabanes sous les
buissons avec des sièges, des tables où
doivent se dire les secrets et les gros mots".
Mais voilà, il y a aussi les 2
cours goudronnées de part et d'autre, des
préaux éloignés, des recoins entre les
murs .... bref, il faudrait être au moins 4 ou 5
surveillants au regard acéré pour avoir tout
le monde dans le colimateur ! Cela ne pose pas trop de problème
à Magali et Gaetan qui ont constaté un
arrêt quasi total des bagarres, de la violence et
même des traditionnels bobos. Mais cela en pose aux
parents, voire au village : Est-ce de voir cet espace
traditionnellement "réservé" aux "instits
notables" envahi sans respect pour la tradition ? toujours
est-il que les réunions du conseil d'école
sont parfois menaçantes. "Si jamais vous avez un
accident ..." Quelques mamans demandent carrément
l'interdiction d'utiliser toutes les zônes en dehors
des 2 cours goudronnées ! Magali ne cède pas,
mais l'insidieuse angoisse s'est glissée entre les
pommiers; et elle y perd le plaisir que devrait lui donner
la quiétude des enfants : "Je suis toujours
sur le qui-vive : pourvu qu'il n'arrive rien. J'ai
l'impression d'avoir un couperet au-dessus de la tête"
. Magali s'occupe des 2 à 7 ans. une
trentaine d'enfants. Avant elle, les enfants sont tous dans
une salle assez vaste, avec un renfoncement et une mezzanine
(quelle classe enfantine n'a pas sa mezzanine !). Les
meubles bas servent à délimiter des espaces.
Aménager l'espace. Qu'on l'ait ou qu'on ne l'ait pas,
c'est vraiment le problème pédagogique
numéro 1 ! Mais son aménagement n'est pas
neutre. Et souvent il est, par avance,
déterminé par une représentation quasi
générale du rôle de l'enseignant : avoir
tout le monde sous le regard, sous sa maîtrise, sous
son contrôle .... ou sous sa protection. Magali
n'échappe pas à ceci. "Dans chaque coin, je prévoyais
et préparais sans cesse des activités. Et des
activités très cadrées. S'ils avaient
quelque chose à faire, je pensais qu'ils ne
bougeraient pas. Et cela ne marchait pas. Je ne pouvais
être partout à la fois. Ils bougeaient quand
même, sortaient de leurs espaces, et cela fichait
toute mon organisation par terre. C'était infernal et
j'étais souvent découragée."
Heureusement, il y a eu le
problème de la sieste : "elle se faisait dans la
mezzanine. Imaginez les contraintes : pas d'activités
bruyantes, obligation de chuchoter .... le résultat :
pendant tout le premier trimestre les enfants qui ne
dormaient pas ont fait des fiches, sur tout et sur rien ....
du moment qu'ils se taisaient !" . Et 2 mamans ont souhaité que leurs
petits de 2 ans et demi viennent toute la journée.
"Cette fois, il a fallu absolument prévoir un endroit
pour les faire dormir ailleurs". C'est alors qu'une
partie du logement a été transformée en
dortoir spacieux et tranquille, loin de la classe. "A ce
moment-là, nous avons enfin pu faire de la peinture,
jouer, rire et discuter car nous n'étions plus que
15". Mais cette brusque extension du
territoire n'a pas été quand même facile
: "D'abord la mairie qui a absolument tenue à
être "couverte" par l'Inspection, et ensuite
moi-même ! J'avais l'impression d'abandonner mes
prérogatives à l'ASM. De ne plus être
"la maîtresse". De ne plus tout contrôler. Et
cela a été dur." Mais une fois le premier pas franchi, les
transformations se poursuivent dans la classe. "J'ai
compris que je ne pouvais pas tout diriger." Et c'est un autre concept qui se met en
place. "Maintenant, il y a des espaces où les
enfants peuvent faire des choses, produire eux-mêmes
leur activité, passer d'un endroit à un autre,
aller se réfugier sous l'escalier, peindre ici,
découper là-bas .... J'accepte de ne plus
diriger. .. Et tout va mieux ! Ils sont encore souvent
après moi, mais ce sont eux qui viennent. Je croyais
que je ne pourrais jamais supporter 30 qui bougent tout le
temps ! " Et le CP ? "Il a son endroit ! je le
contrains encore à y rester le matin. Mais je
voudrais que les autres y aillent, en particulier quand il y
a des activités de lecture .... mais ils y vont peu
!" C'est qu'au CP, c'est sérieux, "dans la
tête des enfants, ils sont dans la même classe
... mais ce n'est plus pareil". Et dans la tête de
la maîtresse ? "C'est vrai, je sais que tout le
monde attend qu'ils sachent lire. D'ailleurs, au
début de l'année, ce coin devait être le
coin lecture pour tous .... et c'est devenu le coin CP !
Difficile quand on pense que tout dépend de la
maîtresse !" Peu à peu, les transformations
s'opèrent, sur le terrain et dans les têtes.
"Je voudrais que cela ne ressemble pas à une
école mais à une vraie maison 2.
J'espère que nous prendrons nos aises et que nous
utiliserons tout le logement. On pourra être ensemble,
par groupes ou chacun dans son coin s'il en a envie, et nous
serons. Nous serons quoi ? je ne sais pas, mais nous serons
tous quelqu'un." Et il est probable que tout cela ne se
fera pas sans problèmes, sans remises en questions,
sans angoisses, sans retours provisoires, sans
tâtonnements. Il faudra que chacun puisse
conquérir et se donner les outils de sa
liberté, de son autonomie. Et chaque extension du
territoire, chaque occupation d'un nouvel espace oblige
immanquablement à revoir toute sa conception de
l'école. Ah, si nous n'avions pas d'espace nous
n'aurions pas tous ces problèmes !!! B. COLLOT