Julien ne sait pas reconnaître au
premier abord UN, UNE, LA après un an et demi de CP.
Echec scolaire ? Non échec de
l'institution !
La question est en amont. Julien
n'est pas motivé, ne fait aucune relation entre ce
que je veux qu'il apprenne et ce dont il a besoin pour
vivre, ses centres d'intérêt. Comment motiver un enfant ? Comment
lui permettre d'exprimer un JE ? Comment lui permettre
d'être actif au sein du
groupe-classe ? Julien prend rarement la parole car ce
qu'il a dans la tête est brouillé ou alors il
n'arrive pas à aligner 4 mots pour que ce soit
compréhensible ...
Bref, j'ai lancé "l'ATELIER"
pour lui d'abord, pour les autres ensuite. Je croyais ne pas
avoir de place ! On a vidé ensemble une salle
débarras en un après-midi. On a
transpiré, on a vu des vieilleries d'il y a 10 ans et
plus, on a fait le vide, on a apporté nos trucs, nos
bidules, nos meubles et LES OUTILS achetés à
une foire à 10F à "Leclerc" .... et on en a
fait un atelier bricolage, notre atelier. Les enfants ont apporté clous,
planches, vis, tasseaux de chez eux. Et Julien, dont le papa est couvreur, a
fait "comme papa". Il se trouve qu'il sait très bien
manier les outils, qu'il sait exactement quand on utilise un
serre-joint, des tenailles, des clous de tapissier, de la
colle à bois. Et il est passé de "rebus de
l'institution" à la place de celui qui sait, qui
explique. De l'inibé au créateur. Faut voir ce
qu'il a créé mon petit
Julien ! La structuration ? Elle se
fait à plein car Julien est maintenant
demandeur : "Comment ça s'appelle ?
Après 12, c'est combien ? ça va mieux
avec cette main-là ... Il faut longtemps pour faire
cet objet ? Avec du bois on ne fait pas les mêmes
choses qu'avec du fer ou du plastique ...." Julien ne sait pas encore lire, mais il
est demandeur et peut associer une suite de phonèmes
à des réalités bien
concrètes. Julien se confronte avec la
matière et veut faire passer ce qu'il sait par tous
les canaux possibles. C'est chouette la vie ! Ludovic BAUDIN, Millac, Mars 94
Le papa de Noémie est
scieur. Nous disposons donc de
relèves à volonté (les 2
planches incomplètement planes dun tronc
scié en long). Il y en avait un bon stock dans la
partie herbeuse de la cour. Autrefois, jessayais
souvent de lancer la construction de cabanes, construction
bien sûr hautement pédagogique. Et
cétait vraiment un exercice ... scolaire que
javais encore plus de mal à faire
passer quun exercice de math, lui au moins sans
hypocrisie ! Il y a longtemps que jy ai
renoncé. Ces relèves ont donc trainé
durant des jours dans la partie herbeuse de la cour. Elles
ont servi de ponts, de limites de jeux, de barques ....
Elles me créaient plutôt du souci,
mobligeant à faire preuve
dautorité pour obtenir des rangements
provisoires et sporadiques. Bien appuyées contre le mur elles
créaient souvent un espace ressemblant à une
caverne où jy retrouvait fréquemment
petits et grands dans un monde qui
méchappait. Et puis, un jour des vacances de
Pâques, je trouvais dans la cour 3 grands qui avaient
arrangé toutes ces planches en une espèce de
typee autour de laccacia. Et je les y ai revus toutes
les vacances. Et la cabane na pas cessé de
changer de forme, jusquau moment où ...
Sébastien est arrivé. A Moussac, Sébastien cest un
peu le Julien de Luchapt. En plus grand. Et il manie lui
aussi marteau, clous, scies avec la plus grande
dextérité. Et commença alors la
construction dune très curieuse structure, fixe
cette fois. Une espèce de pyramide inca posée
sur 4 piliers constitués de 4 pneus ! Elle
créait un espace réel et symbolique puisque
les relèves étaient posées ... à
plat ! Des murs qui laissent passer lair, un peu
de lumière, qui ne vous coupent pas des autres mais
qui vous font une bulle. Et cette construction, son
perfectionnement, ses modifications, ses réparations,
son utilisation ... ont duré plus de 6 mois !
Commencée pendant des vacances, elle était
toujours là après les vacances
suivantes. Il y a eu des échelles, un
écoutile, une passerelle .... Les petits en ont fait un sous-marin,
Sébastien son quartier général,
Mathilde et Emilie y venaient y écrire des
poèmes, Thomas et Kévin y attaquaient leurs
ennemis et jy retrouvait parfois Anthony qui venait y
rêver. Il ny a jamais eu de règles
institutionnées comme par exemple dans le
restaurant des anciens WC. Je donnais parfois un coup de
tronçonneuse pour aider à supprimer tout ce
qui dépassait, vérifiais la solidité de
louvrage ..... Et puis, au premier hiver .....
Jai encore usé de mon
autorité pour lancer un chantier de démolition
des ruines ... et ça a
marché ! Bernard Collot
Il y a une quinzaine
dannées, nous avons été la
première
classe unique de la région
à avoir des WC ... à
lintérieur !
Les anciens WC, cachés
derrière un bouquet de roseaux ont été
bouchés, les cloisons abattues, on y a mis 2 vieux
bureaux, une cabine a été
conservée pour ... ranger. Et ils sont devenus un coin
mystérieux, un coin à conciliabules, un coin
à constructions imaginaires, un coin à
dînettes, un coin ... à tout et surtout un coin
pas à moi ! Devant, il y eut même un
cimetière à cerf-volants et autres doryphores
avec croix, tombes de pierres ... Les dînettes y étaient assez
fréquentes, jusquau jour où Olivier et
Elodie y invitèrent Burkhard, un étudiant
allemand qui passa un mois avec nous. Burkhard sera
très certainement un grand pédagogue. Il ne
joua pas le jeu, il fut le jeu. Il rentra dans un
vrai restaurant, mangea de vrai
poulet ... il donna un véritable coup de baguette
magique. Jy fut convié à mon tour, et
dégustai très sérieusement mes
délicieux petits cailloux... Et débuta laventure du
RIKIKI, restaurant de La Fourmilière,
aventure qui dura plus d1 an et demi. Ce fut un aménagement permanent.
Le papa dOlivier était obligé de
surveiller attentivement son propre bric à brac qui
disparaissait régulièrement ... au
Rikiki. On y retrouvait de vieux rideaux ... et
parfois de moins vieux, il y eut même des
stores. Ce fut la nécessité
dune organisation institutionnelle permanente, sans
cesse remise en cause, sans cesse
réaménagée. On en parlait presque
quotidiennement dans les réunions. Et je fus même obligé
dajouter le Rikiki comme atelier
permanent, cest à dire que lon pouvait
sy affairer à tout moment de la journée,
comme au jardin ou à latelier math. Et cest le Rikiki qui a
appris à écrire à Olivier. Lui qui
refusait lacte décrire sest mis
à faire les premières panacartes : ici
le RIKIKI, puis les premières affiches :
attention, ne touchez pas aux assiettes,
Qui peut apporter des serviettes pour le Rikiki,
On ne veut plus que les grands changent ce quon
a fait aux Rikiki, Aujourdhui il y a du
poisson etc... On écrivait à Burkhard pour
lui parler du Rikiki ... et Burkhard
sintéressait au Rikiki ! Et puis, peu à peu les heurts
à propos du Rikiki ne pouvaient plus se
résoudre en réunion. Des vandales
étaient accusés. Il ny avait plus
quune poignée dirréductibles qui
tentaient une magie qui nopérait plus. Plus
aucune transformation narrivait à
recréer lenchantement ....... Le Rikiki fut
désaffecté. .... Et je vis alors de plus en plus
denfants, la journée, au bord de la mare. A
rêver. ... au fait, Olivier, depuis le Rikiki,
lit et écrit sans problèmes. Je crois
même que ce sera un grand
mathématicien. B.C.
Moussac
Avoir un jardin, un jardin où
lon peut aller quand on veut, ou quand on en a besoin.
Nous avons cette chance. Toutes lespetites écoles de
campagne devraient lavoir puisque, autrefois, le
jardin était obligatoire .. pour ceux du certificat.
Et il faisit partie de ce que le logement de linstit
devait disposer. Lorsque Arnaud, Marc et Sébastien
arrivent, leur premier geste est daller au jardin.
Même quand il ny a rien à y faire.Et je
les vois par la fenêtre, marcher le long des
allées, sarrêter, discuter .... comme de
vieilles moustaches vertes. Jy vois souvent Mathilde
en contemplation devant son plan de fraisier, Kévin,
6 ans, piochant, piochant ... Il fait bien sûr partie des
ateliers permanents. On y va quand on veut. Jean-Noël y
a passé de longues heures pour essayer de comprendre
comment et pourquoi il fallait quil taille ses
tomates. De même lannée de
lautoroute des fourmis, Yann, Martial y
ont passé un temps infini à observer,
créer des attentats sur lautoroute, revenir
avec des observations triomphantes .. et
surprenantes. Il y a eu laventure des limaces et
des escargots qui nous ont fait mobiliser les
éthologistes de tout le réseau. Il a eu, il y a eu ...... Il y a eu aussi toutes les formes
dorganisation sterritoriales possibles, depuis le
collectivisme le plus pur jusquau capitalisme le plus
sauvage. Il y a eu limplication des parents
avec leur moroculteur, avec leurs pioches pour creuser la
mare, leurs conseils, leurs encouragements ... et leurs
graines ou leurs plants ! Il a eu, il y a eu ... des joies, des
plaisirs, du rire ...... Dans une école, vous pouvez jeter
les ordinateurs au placard, ignorer internet, fermer vos
postes de télé ... vous ne devriez pas pouvoir
vous passer de jardin. Bernard Collot