Ma classe, sans être démesurée, était plus grande que les classes ordinaires, j'avais récupéré la salle qui servait à accueillir les études du collège et je n'accueillais que 16 élèves au maxi (en SEGPA c'est à peu près la règle). Je crois que la qualité de l'espace laissé à chacun est un critère important !

C'était un grand rectangle dont l'un des plus petits côtés était plein de fenêtres. Le long de ces fenêtres étaient disposées des tables pour mener un travail personnel. L'autre petit côté était laissé à la porte, à des affichages (travaux d'élèves, plannings, calendriers, carte du monde, horloge...) et à mon bureau, adossé à un coin. Un des grands côtés supportait des armoires, des étagères (matériel collectif, rangements pour les classeurs de travail personnel, dictionnaires, mémentos de grammaire...tout ça en libre accès) et la sacro-sainte porte de secours. Le

Dernier grand mur était occupé par un tableau blanc, un paper-board, une bibliothèque (livres de lectures, BD, encyclopédies, documentaires, livres de poésie...) et 2 tables supportant 2 ordinateurs où l'on pouvait travailler à 2.

Le "centre" était divisé en 2 zones :

- la plus grande, face au tableau, occupée par des tables individuelles, disposées en U permettaient à la fois les réunions pleinières, les travaux en grands groupes et les cours magistraux (car il y en avait quelques uns). Ces tables pouvaient être déplacées facilement pour permettre des travaux de groupes ou étaient aussi utilisées pour des travaux personnels)

- les 2/5 restants accueillaient 2 tables hexagonales (en fait 4 vieilles tables trapézoïdales récupérées dans une ancienne salle de réunion du collège). Ces tables permettaient de travailler en groupe à 3, 4 ou 6 (pas au large, à 6 !).

Bien que le mobilier était strictement de récupération, (vieilles bibliothèques d'un ancien CDI, armoires, chaises et bureaux scolaires classiques), nous étions royalement installés, notre classe faisait beaucoup d'envieux (surtout des élèves, mais aussi quelques collègues qui n'avaient jamais osés se balader dans les entrepôts du collège!) ce qui cassait largement l'idée de relégation inspirée généralement par les SEGPA...

Bien entendu, ce "dispositif" était au service d'un fonctionnement assez particulier de mon enseignement :

- peu de cours magistraux

- des travaux largement différenciés et autonomes pour les élèves

- des projets nécessitant échanges, travaux de groupes mais aussi travail personnel, libre accès aux outils (matériel, calculettes, dico, mémentos, documentaires, fichiers..) pour tout travail, même, souvent, de contrôle !

Pour beaucoup, l'interdiction de circuler relève du fait qu'il n'y a aucune raison de circuler ... ou que cela n'est pas possible. Peut-être qu'il y a aussi l'organisation générale ?

Je l'ai dit : les déplacements étaient induits par le fonctionnement même des apprentissages. L'organisation générale de la classe n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour faire avancer des gamins largement hétérogènes dans leurs compétences, leurs acquis, leurs motivations, leurs besoins... (c'est officiel en SEGPA et en classe unique, c'est largement compris en maternelle, ce n'est pas encore perçu de manière générale dans des classes dites homogènes. Je suis persuadé que c'est pareil partout, mais c'est un autre débat !).

C'est venu petit à petit, en fonction des besoins, des occasions, des nouveaux outils mis en place. Un tel fonctionnement et un tel dispositif s'améliore au jour le jour, avec des échecs, des essais, des va-et-vient. Ce ne peut être qu'un exemple, même pas exemplaire. C'est une adaptation au milieu, l'enseignant faisant partie intégrante de ce milieu.

Je pense que beaucoup de collègues auraient été très mal à l'aise dans ma classe, et c'était un handicap en cas de remplacement ! Je pense que beaucoup d'élèves étaient surpris eux aussi, les nouveaux avaient souvent besoin d'essayer avant d'adopter. Il y a même eu quelques enfants pour me demander de remettre les tables comme dans les autres classes, c'était plus sérieux, quoi !

Est-ce que je peux aller pisser sans demander pendant la leçon du maître ? pendant le contrôle ? Je crois qu'un des objectifs de l'enseignement c'est de faire disparaître ce type de règles pour installer une autonomie sereine et impliquée. C'est la loi qu'on a à faire construire pour chaque individu, pas l'acceptation d'un règlement. Mon comportement de citoyen n'est pas induit par une règle, il est régi par une compréhension intime de la loi. Je ne me lève pas (je ne tue pas, je ne vole pas...) non pas parce que c'est interdit, voire puni par la loi, mais parce que je comprends que je n'ai pas à pisser (à tuer, à voler).

Le code pénal, la justice, la police n'étant qu'un recours (nécessaire !) en cas de non respect d'autrui. Non respect constaté et prouvé !

Si le but de la séquence de travail est de certifier que je peux faire cet exercice en temps donné, sans aide extérieure, je ne réussirais que si je fais ce travail seul et dans le temps imparti ! Mon déplacement dans cette épreuve ne permettant plus de contrôler la validité des consignes, ce déplacement est prohibé ! Si je sors de la classe, j'accepte la non validation du contrôle, et je sais pourquoi !

Pour rire : pendant le concours de prof des écoles, on peut aller pisser, mais accompagné !...

Pour pleurer : pourquoi je ne roule pas à 150 dans une ville ?

Pour ne pas aller en prison, ou pour ne pas écraser des gamins ?