Quand il ny a pas despace, le moindre acte pédagogique qui imposerait que des enfants ne soient plus alignés et immobiles, la moindre introduction dun élément de vie dans lenvironnement, la moindre tentative pour permettre aux enfants de devenir acteurs de leur développement ... relèvent souvent du cauchemar. Et il faut une solide dose de ... foi pour continuer, malgré tout et tant bien que mal. Pour la troisième année, lécole se trouve confrontée à lépineux problème de la surpopulation scolaire. Les locaux sont ceux dune école construite pour une seule classe au début de ce siècle. Au fil des ans un hangar a été aménagé en salle des fêtes par les parents délèves. Puis une classe sest installée dans la moitié du hangar, lautre moitié étant utilisée comme salle polyvalente pour la gym, laudiovisuel, etc... La cour elle est resté la même : 2 ares en pente, goudronnés et en forme de L pour 90 enfants. Les sanitaires se composent des anciens W-C dautrefois inutilisables lhiver et deux W-C chauffés placé devant la classe maternelle. Trois classes dans un lieu prévu pour une. Cela fait beaucoup. Il ny a plus le moindre espace libre dans lécole et la cour nest plus un lieu où lon peut courir, jouer, se détendre. Plus un seul cm2 ne peut être détourné de ses fonctions. Chaque recoin est occupé. Lutilisation des rares locaux municipaux accessibles dans le village provoque dinterminables déplacements et occasionne un gaspillage de temps et dénergie. Cest dans lancienne salle polyvalente que je suis installé maintenant depuis trois rentrés scolaires. La mise en oeuvre dactivités multiples et variées gérées par les enfants ne peut se faire que si chaque matériel est accessible, immédiatement opérationnel. Il nous faudrait donc avoir un espace informatique, un espace peinture, un espace audio, un espace math, etc... Malheureusement quand on ne dispose que de 54 m2, et que 23 personnes cohabitent entre les 4 murs, il devient impossible de concilier linconciliable : espace et efficacité. Jai choisi cette année de garder le maximum despace pour pouvoir se déplacer, se parler, sentendre... Mais jai sacrifié à ce choix la mise en place des lieux permanents qui conditionnent pourtant bien la vie au quotidien. Limprimerie est dans un placard. Impossible dinstaller la presse, les casses, les séchoirs à feuilles. Jai acheté comme succédané une imprimerie lego qui tient dans une grosse boîte et que lon peut facilement transporter, mais cela tient plus du jouet que de loutil de travail valeur car il ny a aucune approche du métier dimprimeur dans lutilisation de ces caractères destinés à être photocopiés. Aucune possibilité de jouer sur les formes, les tailles et les couleurs. Les ateliers darts plastiques doivent pouvoir se ranger dans un chariot à roulettes. Pour pratiquer cette activité, deux fois par semaine il faut métamorphoser la classe: - protéger les tables, évacuer les cartables, distribuer le matériel pour chaque groupe, - inonder le fond de la classe car lunique point deau tient plus de la douche que du lavabo, - étaler par terre les aquarelles et autres peintures ne pouvant sécher verticalement... - et bien entendu tout remettre dans le chariot en fin de séance. Dans ces conditions, adieu le libre choix du moment et du type dactivité. Tout doit être planifié. Le choix des activités. Pas question de se lancer dans la sculpture, la terre, les fresques... La dimension des tables nous donne léchelle de nos ambitions. Pour ceux qui travaillent à léponge, jai réussi à installer la moitié du groupe sur des toiles cirées étalées par terre. Deux enfants peuvent ainsi travailler sur de grandes feuilles, mais ça ne facilite pas la circulation dans la classe!!! Le choix du moment. Compte -tenu quil faut laisser sécher les peintures, les blouses, et les environs du point deau pas dautre solution que de placer les ateliers en fin de journée afin de pouvoir attendre le lendemain pour terminer les rangements. Ca ne facilite pas le travail de la responsable du ménage. Les ordinateurs de la classe et le fax ont été répartis au plus juste le long des murs pour occuper le moindre recoin. Certains ne sont accessibles quen déplaçant le vestiaire à roulette qui est censé accueillir les vêtements - vivement lété - et le meuble accueillant la réserve de papier. Sans linvention de la roulette, nous en serions encore aux patins de feutre sous les meubles. Une seule imprimante est installée reliée à deux machines. Pour les autres, jai mis en place des petits programmes sur chaque machine permettant de transférer le travail des enfants sur des disquettes appelées facteur . Autant avouer que ma présence est absolument indispensable pour que tout cela sarticule correctement. Le résultat est quil est difficile de ne pas se gêner les uns les autres. Les enfants ne peuvent être autonomes à cause des difficultés matérielles pour accéder aux machines. Je suis contraint chaque soir de transférer sur la machine principale le travail des enfants et ce nest pas toujours facile à gérer malgré les aides logicielles mises en place. La vie dans une école ne se limite pas seulement à lespace classe. Lenvironnement immédiat doit être riche de possibilités : pouvoir courir, jouer, expérimenter, se cacher, observer, explorer, sapproprier...Hélas avec une cour goudronnée de 2 ares pour seul environnement, plus rien nest possible. Malgré une rotation des récréations (ce qui crée une nuisance sonore non négligeable pour ceux qui sont en classe), les conditions ne permettent plus de se détendre et la reprise du travail nécessite un laborieux retour au calme. Les enfants ont bien sûr la possibilité de rester dans la classe sils le désirent... mais il en reste encore beaucoup trop dans la cour. Impossible de courir sans renverser un copain. Jouer aux billes demande une gigantesque dose dimagination et des billes plates. Les marelles sont réduites à leur plus simple expression et mobilisent les rares surfaces horizontales. Organiser un jeu collectif demande lapprobation de tous, la mobilisation de la totalité de lespace, ce qui signifie quils ont disparu et que les rares tentatives pour les relancer échouent chaque fois. Il faut ajouter à cela la dégradation des plates-bandes (depuis 2 ans jai renoncé à toute plantation avec les enfants). Même le pluviomètre a beaucoup de mal à survivre...Les bousculades inévitables sont souvent synonymes de débordements sur les petits rubans de terre et de piétinements. Exit le petit jardin floral qui était bien réconfortant au printemps. Le cadre de lécole est un lieu de vie important pour lenfant. Cest un peu comme le village ou le quartier autour de la maison familiale. Il devrait y avoir les lieux familiers, ceux qui appellent la découverte de linconnu et les recoins sombres où se cachent les monstres imaginaires. Hélas! Hors la salle de classe, il ny a plus rien. Le seul itinéraire où lon puisse encore musarder est le petit escalier qui mène aux toilettes à la porte de la maternelle. Aucun autre déplacement dans lécole. Pour toute activité demandant de lespace, il faut shabiller et se déplacer dans le village. La perte de temps surtout en hiver est énorme. Même en faisant le plus vite possible, il faut compter 20mn (habillage déshabillage compris ) pour commencer la gym, la danse, la musique, pour sinstaller à la médiathèque. Comme en plus toutes les salles que nous utilisons dans le village sont aussi utilisés par des associations, il faut installer le matériel en arrivant, pas question de la mettre en place avant. Et je nai pas compté le nombre de fois où nous avons dû faire demi-tour pour cause doccupation de la salle par une association qui bien entendu navait pas prévenue lécole malgré l existence dun planning dûment déposé en mairie.. Nous essayons de réduire la perte de temps au minimum : - en accueillant les enfants le matin à la porte de la salle qui va être utilisée; - en emportant les cartables pour éviter de revenir à lécole en fin de journée; ou planifiant lutilisation des locaux en fonction du fonctionnement de chacun. Mais cela demande une organisation bien complexe, pesante et qui ne permet aucune improvisation. Et les parents ont bien du mal à déposer chacun de leurs enfants en un lieu différent qui varie en fonction des jours et des semaines.
Le restaurant scolaire néchappe pas hélas à la surpopulation. Construit il y a dix ans et dune capacité de 50 couverts, il accueille maintenant près de 60 enfants dont une quinzaine de tout petits qui ne dispose daucun mobilier spécifique. Malgré une nourriture qui na rien à voir avec le repas barquette plastique de collectivité, linterclasse ne permet plus aux enfants de se détendre et daborder laprès-midi dans de bonnes conditions. Lheure qui suit est consacrée à la décompression. Pas facile denseigner dans ces conditions.
Je rêve dune école dotée dune âme, qui soit avant tout une maison, une école ouverte sur le ciel et le monde environnant. Pas de toits de hangars tout plats, pas de caserne, pas dusine à enseigner. Une maison qui ait un point haut pour souvrir sur lespace, une maison où intérieur et extérieur ne seraient plus des mondes étrangers, une maison dans laquelle la joie de contempler et celle de communiquer vous rendraient à vous même. Je rêve dune école où les enfants pourraient se déplacer sans danger, une école où nous pourrions quitter le classe quelques instants pour visionner une vidéo, projeter quelques diapositives, écouter de la musique dans un petit auditorium avec des gradins recouverts de moquette, une école où le matériel serait toujours prêt à être utilisé, une école où les classes seraient ouvertes les unes aux autres. Je rêve dune école où quand lorage fait rage lon puisse monter dans un observatoire pour contempler le ciel, apprendre à connaître les nuages, inscrire sur les vitres la course du soleil. Je rêve dune école où les associations du village puissent venir travailler, échanger avec les classes et où les adultes puissent venir sinitier aux technologies nouvelles si familières à leurs enfants. Je rêve, cela fait longtemps que je rêve et quand je pénètre dans ma classe chaque matin, la confrontation avec la réalité a de plus en plus un relent de cauchemar. Roger Beaumont, Polionnay, le 30 Janvier 1995 Depuis 1999, Roger ne rêve plus : il a sa nouvele école ! |