Les craintes des enseignants

 

 

Le règlement

Le désordre

Le jugement

Une nécessaire réorganisation

 

 

 

 

 

 

A l'encontre du règlement ...
Muriel Quoniam

Je livre à votre réflexion ce conseil relevé dans l'éducation enfantine qui vient de paraître (chronique de classe sur le thème "vivre ensemble" dans la rubrique "truc et astuces") : "Ne pas accepter des déplacements imprévus : le rituel des toilettes étant bien mis en place, il paraît inopportun d'accepter des allers-retours fréquents vers les sanitaires... même chez les très petits."

Il est dans la coutume d'interdire aux élèves de quitter la classe pour se rendre aux toilettes et les raisons affichées ne manque pas de sel.

On entend souvent : " Comment autoriser à circuler un enfant sans surveillance alors que le règlement stipule que le maître est responsable de la sécurité des élèves ?"

Il est en effet bien connu que c'est sur les trajets entre la salle de classe et les toilettes que surviennent le plus d'accidents! On remarquera que ces mêmes enfants se rendent souvent à l'école à pieds et que de ce fait les mêmes maîtres ne manquent pas d'organiser des séances d'apprentissage du code de la route afin de permettre à leurs élèves de maîtriser leurs comportements de piétons.

S'agit - il de l'insécurité de l'élève ou de celle du maître? A quelle loi fait-on référence? Y a-t- il des jugements qui font jurisprudences?

 

 

Le désordre
Muriel Quoniam

Une seconde objection vient ensuite : "Et si l'on en autorise un, il y en a d'autres qui en font immédiatement la demande."

Cet argument d'expérience mérite que l'on s'y attarde. En effet, ce désordre ne manquerait pas de faire mauvais effet auprès des collègues qui verraient ou entendraient une bande joyeuse d'enfants circulant dans les couloirs à tout moment de la journée provoquant des dérangements en cascade qui contribueraient à la diffusion de jugements de valeur sur le maître du type: Quel manque d'autorité, quel laxisme !

En effet, l'expression familière" leur serrer le kiki " ne signifie -t-elle pas avoir de l'autorité, on pourrait même parler ici de puissance, voire de toute puissance, mais l'image est sans doute trop forte.

Panique donc dans l'école , et panique dans la classe. Comment continuer la leçon, le travail?

"C'est toujours quand JE parle qu'il ont envie d'uriner"

Ce flot interdit ne serait - il pas une réponse au flot de parole du magister? Constatons nous ce phénomène chez un enfant qui a la parole, qui est écouté et quand c'est le cas, doutons nous de la réalité du besoin? " Bon, admettons, l'envie vient à propos, est un propos, mais la contagion ? Nul ne peut la nier, en effet, et ce comportement grégaire peut être observé ailleurs qu'à l'école. Il n'y a qu'à se trouver sur une zone de repos de l'autoroute lors de l'arrivée en bus d'un groupes de touristes.

Certains diront que je pousse le bouchon un peu loin, que la contrainte ici explique cela, les besoins du service en quelques sortes, nous y reviendrons.

Mais en organisant la pénurie en ce qui concerne la satisfaction de ce besoin élémentaire(obligation de lever le doigt, de faire la demande, d'attendre l'autorisation du maître qui doit immédiatement juger aux contorsions de l'enfant et à l'état suppliant de son regard s'il s'agit d'une envie réelle ou d'une simulation), le maître ne contribue t - il pas à générer de tels comportements? Ne conduit-il pas sa classe comme le chauffeur conduit le bus?

On pourrait remarquer d'ailleurs que la maîtrise des sphincters et de la vessie quelquefois détermine l'entrée à l'école maternelle et que les séances toilettes de groupe y sont quelquefois pratiquées, oserai je dire que c'est par commodité? Les besoins du service !?

Lors de ces séances, l'enfant ne construit-il pas alors un habitus qui va le suivre? Ne pourrait -on pas lui apprendre à utiliser le temps de récréation pour satisfaire ces besoins corporels ( manger, boire, uriner, courir, chanter, rire fort, crier...)

On remarquera toutefois que l'accès aux toilettes en maternelle se fait plus facilement, probablement grâce à l'organisation des locaux, mais aussi grâce au regard que porte l'enseignant, pour ne pas dire la maîtresse, sur l'enfant, ses besoins, sans jeu de mots, ses droits.

Du fait aussi de l'organisation des activités (travail en atelier, en groupe, dans des "coins") qui ne poussent pas l'adulte à vouloir constamment avoir tous les enfants sous les yeux, et qui permettent à l'enfant de quitter le groupe sans nuire à l'enseignant.

Et comme par enchantement, à l'entrée au CP, les règles changent. Etait ce justifié physiologiquement? Cela correspond il à une étape du développement de l'enfant?

Mais l'effet contagieux va bien au delà. Tentez l'expérience, dans une situation ennuyeuse de dire ostensiblement que vous allez faire pipi, et observez. Le mot lui même a de l'effet, autant que l'évocation des poux fait que l'on se gratte.

Pour en revenir à l'observation, le maître, aussi intransigeant soit -il sur ses prérogatives sera bien obligé d'autoriser quelquefois la sortie de l'élève, tout en lui précisant qu'il aurait pu y penser avant d'entrer en classe,( drôle de logement pour la pensée!), que le moment est mal choisi etc... Le sermon étant suivi de la bénédiction, pardon, de l'autorisation, le regard suppliant de l'enfant se transforme en rictus et l'on entend parfois un "merci monsieur."

Quel pouvoir! quel honneur! de commander aux vessies quand on voudrait être une lanterne sur le chemin du savoir?

 

 

 

Le jugement de l'enfant
Muriel Quoniam

 

En troisième objection vient alors que : "Outre que cela intervient toujours au mauvais moment, certains simulent!"

On peut comprendre en effet, que certains comédiens usent de leurs talents, tentés par ceux qui réussissent à passer le barrage, et essaient d'impressionner le maître en suppliant plus fort qu'il ne faudrait et en bloquant leur respiration, ce qui ne manque pas de les faire rougir et de faire pétiller leurs yeux.

Le maître pourrait tenir là un magnifique sujet de "leçon d'anatomie" qui devrait mettre en évidence le peu d'effet d'une vessie pleine sur les capacités respiratoires. N'est il pas vrai qu'à cet âge le corps humain est une boite noire et qu'expliquer le fonctionnement du corps humain est au programme?

Ces simulateurs, donc, simulent et de ce fait montrent qu'ils ont envie de quitter le saint du saint, ce qui ne manque pas d'exaspérer le maître qui souhaiterait, j'exagère, pouvoir finir de parler ou plus simplement que le travail se finisse autrement qu'en cavalcade dans les couloirs.

C'est là que nous passons du mauvais traitement à enfant à mauvais traitement de l'information. Que nous dit un enfant qui souhaite quitter la classe ou prolonger la récréation? sinon que cela a assez duré ou mal commencé, que la séance a été trop longue ou qu'elle est peu engageante, qu'il est fatigué...

Que faisons nous, nous, pour nous détendre lorsqu'un travail est trop ardu, trop long, peu motivant? Ne fumons nous pas une cigarette, ne mangeons nous pas du chocolat, ne buvons nous pas un café et quelquefois n'allons nous pas au cabinet avec une envie pressente lorsque le travail nous a trop accaparé. Doit on alors installer une "cafet"' dans la classe? ou plus sérieusement : Que faire, comment faire?

Reconnaître à chacun le droit à priori de satisfaire ses besoins physiologiques essentiel, à savoir uriner et déféquer, boire, sans demande d'autorisation préalable en informant toutefois le maître qui doit organiser et est responsable des allées-venues- venues (à la BCD, la salle informatique, la salle atelier comme aux toilettes d'ailleurs). Ce qui simplifie et allège les tâches du maître.

Reconnaître à chacun le droit de dire qu'il n'en peut plus, qu'il a besoin de prendre l'air voire de quitter sous certaines conditions une activité qui lui devient insupportable. Ce qui devrait diminuer le nombre de simulateur.

Définir des règles de comportements sur les trajets (calme, respect du travail des autres, circulation alternée pour éviter des excitations inutiles) et un régime de sanction pour non respect de ces règles, par exemple accompagnement par un tiers en cas de nécessité absolu, avec demande préalable d'autorisation, ce qui correspond à la situation dénoncée mais qui serait comprise par les enfant comme une privation de droit suite à une transgression, une perte de droit et non le fait du prince, cette punition ayant une durée plus ou moins longue selon la gravité de la transgression, selon le fait qu'il y ait eu récidive ou non. Ce qui permet une réflexion sur la loi, le jugement et les sanctions.

Définir des règles de comportements en classe permettant la satisfaction de ces besoins dans le respect du travail des autres.

Rappeler, lorsque cela sera nécessaire, plutôt en début ou en fin d'activités extérieures, que ces moments de récréation ou de trajets sont propices à la satisfaction de ces besoins.

Accepter de comprendre les moments de fuite comme des signes renseignants sur la perception de l'activité proposée par l'enfant et non comme un défi à la personne qu'est l'enseignant.

Demander à l'enfant s'il peut attendre en lui précisant pourquoi et combien de temps

Ne pas évoquer des lois et règlements qui stipulent que le maître est responsable de la sécurité des élèves et organise pédagogiquement ces activités en tenant compte de cette contrainte pour en faire des lois qui interdisent toutes adaptations nécessaires à la réalité.

Réorganiser l'espace scolaire afin de permettre la satisfaction de ces besoins sans que les déplacements ne soient trop longs et génèrent des absences dérangeantes pour le travail.

Je terminerai sur ce point en évoquant le caractère humiliant de la contrainte du corps du point de vue psychologique et que si aujourd'hui tout le monde convient qu'il faut prévenir les enfants sur leur droit à disposer d'eux même, il nous reste encore à nous interroger sur nos pratiques qui pour certaines paraissent paradoxales par rapport à nos discours. Quel respect avons nous manifesté à l'enfant qui "a fait dans sa culotte" pour n'avoir pas osé demander? Avons nous été capable de changer les règles du jeu pour que ça n'arrive plus? Devenons nous plus respectable en soumettant l'enfant à nos désirs?

Il se trouve que depuis que j'ai écrit ce texte, un médecin scolaire est parti en croisade contre les interdictions d'aller aux toilettes en dénonçant le fait qu'elles favoriseraient les infections urinaires.

 

 

 

 

 

 

Une nécessaire réorganisation
Dominique Maurin, section occe du 77

On est en pleine discussion au sujet de la liberté d'aller aux toilettes entre collègues .

Ce droit, si naturel, oblige évidemment à une très sérieuse organisation au niveau de l'école, on est d'accord.

Mais il nécessite aussi des compétences adaptées à la maturité de l'enfant à qui il est donné.

Comment dans une classe à plusieurs niveaux, ou dans une école où les petits et les grands circulent ensemble , comment imaginer que la mise en place de la compréhension des risques et des dangers des lieux, se fassent au même rythme?

Construire les obligations et parfois les interdits liés à la libre circulation supposent avoir vécu des situations pas faciles. C'est bien nous les adultes qui , au début, anticipons suffisamment pour éviter les accidents aux enfants, et selon les progrès réalisés dans l'autonomie , élargissons le domaine de libre circulation. Chacun a son rythme de compréhension. Nous sommes gênés par le partage de la responsabilité de l'adulte sur l' enfant chargé de surveiller à sa place.

Si on prend le code de circulation sur la voie publique comme point de départ pour découvrir les inventions que les adultes ont mis en place pour diminuer les accidents, ( panneaux de signalisation, force publique de dissuasion, et c'est semble-t-il un peu le rôle des délégués chargés de faire respecter les règles...)les médias nous renvoient les échecs du code. Alors, à partir de là, on peut commencer à réfléchir sur le vrai responsable de l'accident : la responsabilité est engagée quand le discernement à prévoir les dangers est suffisant, l'enseignant engage bien sa responsabilité dans cette formation sur la personne.

Ce droit doit être travaillé coopérativement à l'école pour ouvrir le champ des libertés, mais c'est long et complexe. Dites - nous en plus sur vos pratiques pour avancer.