Larticle qui suit, transmis par
son auteur, Jeannette LE BOHEC, a été
écrit il y a près de 25 ans dans la revue de
lICEM de lépoque,
lEDUCATEUR. Des éducateurs
sélevaient déjà contre ce
véritable scandale qui est de faire vivre des groupes
des enfants et des éducateurs dans des espaces aussi
réduit que ... des cages à rats. Comment se
fait-il que ses cris se soient toujours perdus dans une
sorte de désert étonnant ? Alors que
mouvements pédagogiques, syndicats,
fédérations de parents
délèves ... devraient être les
premiers à sémouvoir ? Il m'a semblé jusqu'à présent que
l'ICEM était un mouvement coopératif. Chacun
apportant aux autres le fruit de son travail, chacun
cherchant à soutenir le camarade en
difficulté. Cependant, j'ai toujours l'impression de me heurter
à un mur quand je parle des mauvaises conditions
matérielles de ma classe. Indifférence...
Impuissance... je ne sais. Chacun au Mouvement, à
l'air de venir puiser, au trésor commun, des
idées nouvelles pour les ramener dans sa classe et
faire de ce lieu un endroit paradisiaque où les
enfants se développent dans l'harmonie totale. Je n'entends plus parler depuis fort longtemps ni des
effectifs, ni des locaux. Dois je croire que sont
éliminés du Mouvement tous ceux qui ont
compris qu'essayer notre pédagogie dans certaines
conditions de travail, était pure folie, pure utopie.
Ces enseignants sont sages. Ils ont bien raison de ne pas vouloir entendre parler de
ces paradis ineccessibles et de ne pas culpabiliser. Moi je
reste encore -malgré tout- car depuis si longtemps
que j'ai commencé cette pédagogie, je n'en
sais plus faire d'autre. Je ne sais plus me passer des textes libres qui petit
à petit me font connaître mes
élèves et surtout de l'art enfantin qui ne
cesse de me ravir. Mais à quel prix ! L'an dernier, n'avais 31 élèves, au CE1,
CE2, CM1, cette année, j'en ai 33 en CE1, CE2, dans
un local trop exigu pour y installer des ateliers
permanents. Alors que se passe-t-il ? J'essaie malgré tout de
faire quelque chose : texte libre, art enfantin, exploration
du milieu... Mais les enfants travaillent dans un tel tumulte que je
crie, je houspille, je dis "Tais-toi" à celui
qui a encore quelque chose à dire, je ramène
énergiquement à sa place celui qui vient
fièrement me montrer son travail fini en lui disant
"si les autres se promenaient comme toi !" Hier en fin d'après-midi, comme nous le faisons
deux fois par semaine, nous avons laborieusement
déballé tout le matériel
nécessaire au fonctionnement des divers ateliers de
peinture, de modelage, électricité, etc... et
réparti le travail avant la sortie en
récréation. J'osais espérer que, chacun
trouvant en entrant son travail devant lui, tout allait bien
se passer et que chacun allait s'adonner aux joies de la
créativité dans un calme relatif. Jamais le tumulte n'a été aussi grand : on
se bouculait dans les allées trop étroites, on
commentait très fort à 33 voix les moindres
trouvailles, on venait me chercher pour aller dans quatre
endroits à la fois, cela à grand renfort de
cris, de plaintes, contre celui qui avait donné un
coup de pied, celui-là qui avait pris le pot de
"rouge", d'un autre qui avait subtilisé un outil,
etc... Il était impossible de voir clair dans cette
tempête. J'en suis sortie au bord des larmes et j'ai
pourtant une longue habitude de ce genre de
séances. Aux quelques visiteurs qui, dans ma classe, remarquent
les travaux d'élèves, je réplique
toujours maintenant que tout cela ne s'est pas fait dans la
facilité et la joie. Et c'est là que j'accuse l'I.C.E.M. - par nos belles expositions d'Art Enfantin, - par nos comptes rendus exaltants d'expériences,
de donner à chaque instant, l'impression que notre
pédagogie peut venir à bout des situations les
plus difficiles et ce qui est plus grave de contribuer
à donner mauvaise conscience à ceux qui
échouent. * Je refuse désormais toute participation à
une exposition ICEM, si elle n'est accompagnée de
doléances et de revendications. * Je refuse toute réunion pédagogie ICEM
sans que reviennent en leit-motiv : effectifs, locaux, matériels. * Je refuse d'être complice d'un gouvernement et
d'un ministre qui osent nous parler de rénovation
pédagogique dans notre misère actuelle et qui
acculent au désespoir ceux qui culpabilisent leurs
échecs. des chambrettes, des box cloisonnés .. Mon
amertume est d'autant plus grande que j'ai vu cet
été, au Danemark, des conditions de travail
idéales : Des salles de classe avec d'immenses dégagements
entièrement moquettés et parfaitement
insonorisés où les enfants couraient en
chaussettes, tout bruit et tout éclat de voix amortis
aus trois-quarts. Ces salles ressemblent plutôt
à un petit appartement avec ses box cloisonnés
réservés aux différents ateliers. Il y a même, à mi-hauteur, du plafond, dans
un angle, une sorte de chambrette suspendue, à
laquelle on accède par une échelle et
où les enfants assis sur des matelas ou des coussins
suivent leur leçon de lecture. Des effectifs, de 15 élèves par classe,
travaillant à l'école, 2 h 1/2 par jour,
jusqu'à 9 ans. Des maîtres détendus, qui reçoivent
successivement 2 équipes de 15 élèves,
l'une de 8 h à 10 h 1/2, l'autre de 11 h 1/2 à
14 h. La pause de 10 h 1/2-11 h 1/2 étant
consacrée au léger repas nordique que les
maîtres déballent ou réchauffent dans
une agréable salle, ultra-moderne, munie de
réchauds, de tables et de profonds fauteuils. Il
s'agit de maîtres du primaire, je le souligne. Des maîtres sans problème qui ne
soupçonnent pas la pression sociale subie par
l'enseignement français. Là-bas, l'apprentissage de la lecture commence
à 7 ans et peut se prolonger jusqu'à 9 ou 10
ans... sans que l'enfant redouble. Les classes de
perfectionnement n'existent pas, tous les enfants passent
dans la classe supérieure. Une abondance incroyable de matériel scolaire. Bref, des enfants et des maîtres réunis dans
des conditions humaines et cela pour tout le pays. Tout cela
se passe à 1 300 km de chez nous, c'est bien vrai, ce
n'est pas un conte. En France, nous en sommes, à ce point de vue, au
Moyen Age... Même cette école neuve de
Mont-Germont ferait piètre figure au Danemark. Quant
à celles de nos campagnes, elles apparaîtraient
comme des étables où l'on entasse des enfants
avec un pauvre imbécile de maître qui continue
à tout supporter parce que ça s'est toujours
passé ainsi jusqu'à ce que la
dépression nerveuse ou le désespoir ne le
terrasse. Je pense qu'il est grand temps qu'on entreprenne
sérieusement quelque chose. Ce n'est pas le C.A.,
tout national qu'il est, qui peut nous aider mais c'est
chaque groupe départemental qui doit se battre et
trouver les moyens de dénoncer et venir à bout
de ce scandale si nous sommes vraiment la Coopérative
de l'Enseignement Laïc